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(Plus que) BANALE

  • Photo du rédacteur: Blandine R-da
    Blandine R-da
  • 25 sept. 2022
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 oct. 2023


Ce texte peut se lire de deux façons :

1ère lecture : linéaire

2ème lecture : en suivant l’ordre : partie 3 – partie 2 – partie 4 – partie 1 – partie 5 – partie 6 – partie 2 – partie 7


Partie 1 :

Je devine la lumière du jour derrière mes paupières et le chant des oiseaux arrive peu à peu à mes oreilles. Mon simulateur d’aube affiche six heures. Une moitié de mon esprit encore ancré dans mon dernier rêve, l’autre déjà au travail, je me lève et glisse mes pieds dans les chaussons. Après avoir câliné les chats attendant sagement derrière la porte, je descends dans la cuisine. Commence alors le tango du matin : 1, atteindre la pâtée, 2, préparation des gamelles, 3, répartition, tout cela aux milieux des miaulements et des chats se trémoussant à mes pieds. Enfin débarrassée de ces amours ingrats, je prépare mon café et m’installe dans un coma profond jusqu’à ce que Madame Horloge m’ordonne d’aller me préparer. Un vrai tyran celle-là !

Après avoir passé quelques minutes dans la salle de bain, je choisis précautionneusement ma tenue du jour. A noter qu’il est important d’allier style élégant et style décontracté : veste de costard et jean/basket fonctionne très bien ensemble. Je me laisse porter par un maquillage naturel et vitaminé pour ne plus avoir l’air fatigué.

Enfin prête au combat, je me retrouve dans la rue où j’avance, à reculons, vers la voiture. Installée, je démarre et prends la route du travail. Tout ne devient alors que nuance. Du gris à perte de vue. Dans le rétroviseur, je vois les lignes blanches qui s’enchainent et m’hypnotisent. Le feu de circulation à l’horizon passe au vert ; mais comme j’approche : orange, rouge, je m’arrête : vert, je redémarre.


Partie 2 :

Arrivée au travail, je rétrograde pour me garer. Je me dirige alors vers l’entrée de l’établissement où je pousse la porte avec l’épaule. Les marches du grand escalier se succèdent sous mes pieds jusqu’à la salle des profs. J’y retrouve mes collègues à qui je souhaite de passer une bonne journée. DRIIIINNNG : elle est encore là celle-là ! Je me dépêche car j’ai une minute de retard. Me précipitant vers la salle de cours, je manque presque de trébucher en croisant mes élèves. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la classe, leur sourire s’estompe pour laisser place à l’épuisement. « Bonjour M’dame ! ». Généralement les cours se passent bien. Certains se prennent pour Lucky Luke, ils dégainent leur main en l’air aussi vite que leur ombre, puis d’autres, se demande ce qu’ils ont bien pu faire pour en arriver là. Malgré les intempéries du style : « Machin, le portable ! », « Machin, tais toi ! », je suis souvent satisfaite en me disant qu’ils auront, pour la majorité, retenu au moins vingt pourcents du cours. Hormis enseigner, ce sont les pauses clopes avec les collègues que j’aime le plus. Les élèves ne peuvent pas s’imaginer à quel point ils prennent cher, mais nous, on soulage notre conscience en se disant qu’ils nous font vivre bien pire.

Quand arrive dix-sept heures trente et que je m’installe dans la voiture, je me sens émotionnellement fatiguée et lourde.


Partie 3 :

Après une journée de travail bien remplie, je suis bien contente de retrouver mon homme et les deux chats, que nous considérons comme nos enfants, bien évidemment. J’estime que sur l’échelle des meilleurs moments de la journée, celui-ci arrive tout de suite après le plus appréciable : celui où je vais me coucher. En effet, ce sont les seuls instants où le temps semble s’arrêter pour de bon. Nous nous retrouvons alors pour nous raconter notre journée, souvent pleines de rebondissements et d’aventures fantastiques. Nous rions, échangeons nos peurs et nos angoisses, aussi nos joies. C’est souvent pour moi l’occasion d’utiliser ma phrase préférée : « en fait, ça me fait penser que… ». J’adore. Nos conversations peuvent prendre une éternité.

En revanche, si je l’aime, c’est bien pour ces moments-là, mais aussi et surtout parce qu’il savoure autant que moi la solitude. Je pense même que c’est un élément fondamental de notre couple. Alors, après nous être enfermés dans notre bulle personnelle, nous nous mettons d’accord sur le repas du soir. Enfin, pour être plus juste, c’est plutôt lui qui se met d’accord avec lui-même et qui prépare. Moi, je me tiens à côté de lui, dans la cuisine, et l’encourage dans ses idées farfelues de nouvelles recettes de pâtes. Savourant donc, nous nous plongeons dans une fiction télévisée. A la fin du film, je dois aller me coucher pour tout recommencer le lendemain.


Partie 4 :

Arrive le moment où je me retrouve seule avec moi-même, celui où la réalité et la fiction n’ont plus de frontière. Je plonge donc progressivement dans le néant de mon subconscient. Dans un premier temps, mes pensées sont mobilisées par le travail : j’imagine ce que j’aurais dû mieux faire ou mieux dire à tel instant de la journée et commence à regretter puis à culpabiliser ; et me promets de rattraper mon erreur, ou, de penser à faire mieux la prochaine fois. Comme cela finit par beaucoup trop me ronger à mon goût, je décide qu’il est plus facile d’en avoir rien à foutre. C’est alors que je divague vers d’autres horizons, à la fois les plus dangereux, mais aussi les plus beaux. La porte de mon monde fantasmagorique s’ouvre donc pour me laisser entrer dans les eaux de mon imagination. Tantôt je vois les personnages de mon roman évoluer dans mon esprit, ce qui me fait parfois rire, parfois même venir les larmes ; tantôt je m’invente d’autres histoires dans lesquelles je suis le personnage principal. Je me sens alors possédée par l’étendu de mes fantasmes et cela m’effraie. Mais cela m’appartient, je ne peux pas le rejeter, j’ai en moi une bête indomptable qui me domine. Ainsi commence la catharsis.



Partie 5 :

Arrivée dans la salle des profs, j’y retrouve mes collègues à qui je souhaite de passer une bonne journée. DRIIIINNNG :

— Vous êtes en retard, une minute sera retirée de votre paie, me dit l’œil incrusté dans le mur.

Je me dépêche alors et me dirige vers une porte s’ouvrant sur un écran transparent. Après être passée au travers, je me retrouve prisonnière d’une réalité dans laquelle le blanc s’étend à perte de vue. Je commence à faire l’appel. Au fur et à mesure que je prononce le prénom de mes élèves, je les vois apparaitre un par un sur un écran à 360°. « Bonjour M’dame ! ». Les sourires, absents sur leur visage, ont depuis longtemps laissé place aux cernes et au teint grisâtre.

Généralement les cours se passent bien. En effet, le manque d’expression et d’émotions m’indique qu’ils emmagasinent le nombre d’informations référencées dans nos logiciels de calculs de performance. Par conséquent, je constate que, pour la majorité d’entre eux, la barre des compétences atteint les plus de 50% ; alors que d’autres, malheureusement, restent bien en dessous et seront radiés le mois prochain.

Malgré les intempéries du style : « ERROR 404 » ou « Zone sans réseau », les élèves ont l’obligation d’être présents, peu importe ce qui peut leur arriver. C’est un grand soulagement de ne plus avoir à les exclure pour mauvaise conduite. Ce que j’aime le plus, hormis enseigner, ce sont les pauses lors desquelles l’ensemble du corps enseignant se doit de respecter le temps de préparation des cours évalué par nos logiciels de calculs de performance.

Quand arrive dix-sept heures trente, je me sens émotionnellement vidée.


Partie 6 :

Après une journée de travail bien remplie, je suis bien contente de retrouver mon robot ménagé et les deux sphinx (mi chat- mi lion), que je considère comme mes enfants, bien évidemment. J’estime que sur l’échelle des meilleurs moments de la journée, celui-ci arrive tout de suite après le plus appréciable : celui où je vais me coucher. En effet, ce sont les seuls instants où le temps semble ne pas m’observer. J’ordonne alors au robot de se mettre en pause pour lui raconter ma journée. Je trouve cela agréable qu’il ne me reproche pas de lui exposer les mêmes détails, chronométrés à la minute prêt, jour après jour. C’est souvent pour moi l’occasion d’utiliser ma phrase préférée : « en fait, je dois faire… ». J’adore. Ma liste d’obligations peut prendre une éternité.

Alors, après l’avoir remis en marche, nous nous mettons d’accord sur le repas du soir. Enfin, pour être plus juste, c’est plutôt lui qui se met d’accord avec lui-même et qui prépare. Moi, je chronomètre. Savourant donc mon repas devant les annonces gouvernementales, je finis par aller me coucher pour tout recommencer le lendemain.


Partie 7 :

Arrive le moment où je me retrouve seule avec mon hologramme, c’est-à-dire celui où l’esprit et la numérique n’ont plus de frontière. Je plonge donc dans le néant de mon subconscient que me projette ce dernier. Dans un premier temps, il m’envoie les images de ce que j’aurais dû mieux faire ou mieux dire à tel instant de la journée et commence à m’accabler de reproches puis d’insultes, et me fait promettre de rattraper mon erreur, ou, de faire mieux la prochaine fois. Comme cela finit par me ronger, il change de stratégie pour mieux me torturer. C’est alors que mon hologramme me fait divaguer vers d’autres horizons, à la fois les plus dangereux, mais aussi les plus beaux. La porte de mon monde fantasmagorique s’ouvre donc pour me laisser entrer dans les eaux de mon imagination. Tantôt je vois les personnages de mon roman se ruer sur moi et m’attaquer, ce qui me donne envie de pleurer ; tantôt mon hologramme me projette d’autres histoires dans lesquelles je suis le personnage principal. Je me sens alors possédée par l’amour et la paix que je ne retrouve plus depuis bien longtemps. Mais cela m’appartient, je ne peux pas le rejeter, j’ai en moi une programmation indomptable qui me domine. Ainsi commence la catharsis.


Blandine ROUX DE ALMEIDA


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