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L'écrivain

  • Photo du rédacteur: Blandine R-da
    Blandine R-da
  • 14 sept. 2022
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 oct. 2023


Gustave pénétra dans l’obscurité de son bureau fait de bois et de vieilles moulures. Un ensemble diversifié de livres tapissait les murs et des sofas en cuir avaient été installés dans l’entrée. Il se dirigea vers le secrétaire massif pour y déposer le journal du jour. En s’asseyant dans son fauteuil, il sortit une cigarette du paquet, posé à l’endroit attribué, puis l’alluma. Balançant la tête en arrière, il laissa la fumée s’évaporer abondamment dans l’air, l’enfermant ainsi dans la brume de ses pensées. Comme chaque matin, Gustave versa du Chivas dans son verre favori, bu une gorgée et ouvrit le journal qui indiquait la date du 25 février 1970, celle de l’anniversaire de son père. Il but une nouvelle gorgée : Joyeux anniversaire ! pensa Gustave qui ne put s’empêcher d’imaginer ce dernier enfermé dans une prison américaine. L’écrivain avait grandi en Allemagne Nazie avec ses deux parents qui avaient soutenu l’ascension d’Hitler. A l’instar de son père, il avait réussi à passer entre les mailles du filet lors du procès de Nuremberg. En effet, il avait réussi à prouver qu’il avait uniquement suivi les ordres de ses supérieurs hiérarchiques et s’en était sorti en donnant leur nom. Cependant, il restait encore peu fier d’avoir participé, de force ou de gré, à de multiples crimes. C’est pour cela que l’auteur s’efforçait d’exorciser de profonds souvenirs grâce à l’écriture. Après avoir lut quelques articles de presse, il but une lampée de Whiskey, écrasa sa cigarette pour en rallumer une autre, puis commença à taper :


« L’odeur du sang, l’odeur de la terre, l’odeur de la sueur mêlée à la poussière. Le sol tremble, le sifflement des bombes m’étourdit. Je cours le long de la tranchée, il ne faut pas que je pense à la mort, je m’allonge dans la boue, fusil dégainé. La violence. Le claquement des bottes. Les morts. Je hais la France, je hais les français…

Satané cauchemar !... Ma tête est lourde et ma bouche sèche. Cela est devenu récurent depuis que je suis revenu des tranchés en 1918. Difficilement, je me lève et file tout droit à la salle de bain. Un petit coup d’eau fraîche, l’insigne Waffen-SS remit à sa place, la ceinture bouclée sur l’uniforme impeccable. Je dévale les escaliers pour sortir. Je me retrouve alors sur Postdamer Platz, les rues berlinoises fourmillent déjà de passants. Il souffle comme un air de paix et de paradis. Depuis qu’Hitler a accédé au pouvoir, l’espoir renait. Nous pouvons constater alors avec fierté que l’économie est relancée et les magasins juifs boycottés ou définitivement fermés ; les chômeurs retrouvent du travail et les femmes redeviennent des épouses parfaites. Je remonte alors la rue pour rejoindre Unter den Linden.

Comme tous les matins, je prends un petit-déjeuner au Labensart où j’ai déjà mes habitudes. A peine arrivé Jack me sert un café. Depuis que la SS est à son apogée, moi, nazi de la première heure, ai été promu détective privé relié à la Ordnungspolizei, plus connue sous le nom de « Orpo », la police SS.

Jack le journal s’il te plaît ! »


— Mince les lettres ont encore sauté ! C’est pas possible ! Tous les jours, tous les jours c’est la même chose ! s’exclama l’écrivain en faisant un bond sur sa chaise. Il se mit à manipuler la machine à écrire avec agacement. Jamais je ne pourrais lui faire sa peau à ce Gunther ! Quand je pense que mon éditeur veut mon travail pour demain ! Tandis qu’il réussit à remettre le mécanisme en place, il se resservit un autre de verre de Chivas. Tant qu’on y est ! Enfin soulagé, Gustave se remit à écrire :


« — Alors Gunther, ton enquête sur le vol de bijoux ça avance ? me demande Jack.

— Oui, c’est sans doute des juifs.

— Pas étonnant, ils n’ont jamais cessé de nous voler ceux-là.

Alors que je finis mon café, une Mercedes noire s’arrête devant moi. L’homme qui se trouve à l’intérieur n’est autre que mon boss, le Oberführer Kurt Daluege, un grand blond aux sourcils longs et bien dessinés.

— Montez Gunther.

— Heil ! salué-je en entrant dans la voiture.

— Je vous offre une cigarette Gunther ?

— Non merci oberführer, je ne fume pas.

— Je suis venu vous voir car j’ai besoin que vous enquêtiez sur un crime de la plus haute importance. Il faut que vous soyez discret, la moindre information échappée pourrait être un désastre. C’est ce que vous voulez Gunther ?

— Non monsieur.

— Écoutez, il s’agit d’Adolf Eichmann, un officier SS. Il est décédé chez lui hier soir, on l’a retrouvé étranglé. Je compte sur vous pour retrouver l’assassin le plus vite possible.

— A vos ordres oberführer ! »


« Étranglé » ou « égorgé », « abattu » plutôt ? se demanda l’écrivain. Qu’est-ce qui plairait le plus au lecteur ? Quelque chose de plus sanglant ? « Égorgé !» ça me semble mieux. Attends un petit peu… Gustave s’approcha d’un peu plus près pour lire son œuvre. « Alors que je finis mon café… » Hum, non. « Pendant que je finis mon café… ». Non plus. « Au moment où je finis mon café… » Un peu mieux. Tu vas voir sale nazi de merde ! Sur cette ultime pensée, l’écrivain s’attela de nouveau à sa tâche :


« En début d’après-midi, Daluege me dépose sur Unter den Liden où je m’arrête déjeuner. En me remémorant la scène de crime, je me dis qu’en vingt ans de carrière je n’ai jamais été confronté à une telle situation. Le corps d’Eichmann a été retrouvé dans son bureau, défiguré par l’entaille qu’on lui a faite à la gorge. Le plus étrange c’est les mégots de Cigarettes de Troupe dispersées autour du cadavre. Je ne les ai pas revues depuis la Grande Guerre. De plus, l’assassin a eu l’arrogance de laisser un message à l’encre rouge près d’Eichmann : « Regarde-toi ». Puis cette odeur forte de Whiskey, qu’est-ce qu’elle fait-là ? Il n’y avait pas de bouteille ou de verre dans la pièce. Mes pensées sont interrompues quand :

— Eh Gunther !

— Josef !

Josef Mengele, qui passe par-là, est un ami que j’ai rencontré à un rassemblement du parti. Nazi depuis toujours, Mengele est un extraordinaire médecin, il s’intéresse particulièrement à la différence des races. Un chic type !

— Dis-moi Gunther, avec tes contacts à la SS tu pourrais m’aider à trouver des cobayes non ? dit-il la clope au bec.

— Comment ça ?

— Tu sais bien Gunther, tu vois ce que je veux dire.

— Es tu en train de me demander de t’envoyer des juifs ?

— Tout ce que tu peux avoir sous la main.

— Je vais voir ce que je peux faire pour toi Josef.

— C’est pour le bien du Reich Gunther.


Les obus explosent autour de moi, les hommes hurlent de douleur. Mes pensées se brouillent. Faut-il que je pense à la mort ? à demain ? à ma mère ? à mon père ? Dans la tranchée, tout est obscure…

En me réveillant, un mal de tête me fracture le crâne. Je m’aperçois avec horreur qu’il est sept heures du matin, j’ai donc dormi depuis hier après-midi. DRIIIINNNNG. Le téléphone. Hésitant, j’attrape le combiné.

— Allo ! Gunther ? entends je

— Oberführer Daluege ?

— Je passe vous prendre dans une heure, on a un nouveau cadavre sur les bras.

Dans la voiture Kurt Daluege m’explique qu’il s’agit du même assassin qu’Adolf Eichmann. La mise en scène du meurtre est la même. Sauf que cette fois-ci, il s’agit de Josef Mengele.

— Il a été assassiné hier en fin de journée dans son cabinet. Nous l’avons retrouvé encore en tenue de travail, c’est sa femme qui nous a appelé en se rendant compte qu’il ne rentrait pas chez lui. Il me semble que vous le connaissez Gunther.

— On s’est croisé une ou deux fois, dis-je inquiet.

Nous arrivons sur Alexanderplatz, devant le cabinet de Mengele. Quand nous découvrons mon ami égorgé, nous retrouvons des Cigarettes de Troupe sur le sol, cette même odeur de Whiskey, puis le message : « Regarde toi ». »


Le repas est bientôt prêt !

Oui chérie, j’ai entendu, j’arrive ! hurla Gustave à sa femme. Je ne vais jamais pouvoir finir ! Il faut que j’arrive à la fin, jusqu’à ce qu’il crève. Crève Gunther !


« J’ai passé la journée à enquêter pour trouver le plus d’informations possibles sur les deux hommes. En retournant au cabinet médical, le carnet de rendez-vous m’a indiqué le nom du dernier patient du docteur Mengele, il habite Postdamer Platz, comme moi. Il me semble le connaître car il s’agit d’un camarade SS que j’ai rencontré lors de la nuit des longs couteaux. Mais passé vingt heures, je décide de retourner chez moi et de le contacter le lendemain.


Le sang coule le long de la tranchée, je ne vois plus personne… C’est alors que je me retrouve Postdamer Platz. L’obscurité de la nuit laisse deviner les contours d’une façade emplie de fenêtres. Je croise la rue pour faire face à une porte en chêne massif et pénètre dans l’habitation _ Le champ de bataille n’existe plus… Le couloir de l’entrée est plongé dans les ténèbres. Je m’avance discrètement, mes pas étouffés par le tapis épais _ Les hommes ne sont plus que des fantômes dissimulés derrière un masque à gaz… Lorsque j’entends quelqu’un venir vers moi, je me glisse derrière le meuble qui sépare l’entrée de l’escalier. A ce moment-là, une femme sort de la cuisine et se positionne sur la première marche :

— Le repas est bientôt prêt ! hurle-t-elle en direction de l’étage.

— Oui chérie, j’ai entendu, j’arrive ! répond une voix d’homme.

J’attends que la femme retourne dans la pièce d’à côté pour monter les escaliers_ Tout est fini, le son infernal s’est arrêté et je suis en vie. La France a gagné, dans la violence et dans la haine… Doucement, je sors le poignard de ma poche. Arrivé en haut, je pousse la porte. Un homme est assis à son bureau, tapant à la machine. Dans la pénombre, je distingue les livres tapissant les murs et les sofas en cuir. L’écrivain relève la tête pour me faire face. Il est brun, comme moi. »

Regarde toi, dit Gunther dans un murmure.

Gunther !

L’écrivain se leva d’un bond et se rua sur lui. Les deux hommes commencèrent à se battre violement, faisant basculer le cendrier rempli de mégots de cigarette. La machine à écrire tomba elle aussi sur le sol dans un bruit métallique.

Tu ne gagneras jamais contre moi Gustave !

J’ai toujours été meilleur que toi !

C’est ce que tu t’es dit pendant la nuit des longs couteaux ? Quand nous avons assassiné ce pauvre Olaf.

La bataille faisait rage dans le bureau de l’écrivain. Gunther jouait de son poignard, mais quand Gustave lui donna un coup sur la tête, l’arme tomba au sol. Alors, dans les profondeurs de la nuit, l’un d’entre eux réussi à récupérer la lame et dans un mouvement circulaire du bras, il trancha la gorge de l’autre.


Blandine ROUX DE ALMEIDA


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