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Chapitre 3 - Partie 1

  • Photo du rédacteur: Blandine R-da
    Blandine R-da
  • 25 sept. 2023
  • 14 min de lecture

L’ Aveugle


Ilse se réveilla, une douleur lancinante à l’arrière du crâne. Reprenant peu à peu conscience, la jeune femme comprit qu’elle était allongée sur une matière moelleuse. Au fur et à mesure qu’elle retrouvait la vue, un visage impénétrable se dessinait devant elle :

_ Tu as vraiment mauvaise mine trésor. Attends là !

_ Où… où est-ce que je suis ? dit Ilse tandis qu’Odward sortait de son champ de vision en claquant une porte derrière lui.

Elle se redressa alors avec peine : seul le matelas et une ouverture découpée, laissant passer le clair de lune, aménageaient la pièce encadrée de tôle. Au dehors, la neige tombait ardemment sur les champs de boules noires, déserts à présent. Caressant sa peau, l’air nocturne venait danser dans son blond vénitien ; elle se laissa alors hypnotiser par la bénignité des étoiles et la quiétude de la cascade.

Un frémissement provenant de sous les draps rompit cet instant de captation surréaliste. Une tête de lézard pointa le bout de son nez puis bondit sur son bras : « tu es là toi aussi ! » dit-elle en le regardant se lover. L’animal tira sa langue fourchue en signe d’approbation avant de se faufiler jusqu’à la porte en acier où il sautilla sur la poignée : « tu as raison, ça ne présage rien de bon. » Ilse, suivant les instructions de son compagnon, alla ouvrir la porte. Verrouillée. « Odward ! » appela-t-elle un première fois. « Laisse-moi sortir ! » tambourina-t-elle. « Odward ! ». Cette fois-ci, elle frappa la porte aussi brutalement qu’avait surgit dans son esprit la peur d’être éternellement prisonnière. L’animal, lui, ne cessait de sautiller sur la poignée. Attentive au moindre bruit, elle colla son oreille contre la porte mais personne ne vint. Alors portée par le désespoir, elle continua en y mettant toute son énergie. Rien n’y faisait. Par l’ouverture, elle évalua la hauteur qui la séparait du sol. Impossible, elle se tuerait si elle sautait. Ilse revint sur ses pas pour épuiser son unique solution : défoncer la porte. Or, sa persévérance disparaissait en cadence avec les coups de pieds qu’elle y donnait. Même la frêle consolation du petit animal ne pouvait effacer l’impression de chute libre qui s’étendait dans sa poitrine. Sa respiration, rythmée par des sanglots, se perdait dans le puits de sa gorge. Dehors, les flocons continuaient de tomber.

Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’un cliquetis retentisse et qu’Odward réapparaisse dans l’encadrement de la porte. Je rêve ou elle pleure vraiment ? Dégeu !

_ Suis-moi !

Ilse essuya ses yeux puis se rua sur lui. Comme si un volcan endormit avait explosé en elle, elle le frappa de toutes ses forces, tentant d’atteindre toutes les parcelles de son corps avec autant de violence qu’elle le pouvait. « Tu m’as laissée seule ! Tu m’as abandonnée ! » criait-elle. Odward, resté complètement de marbre, leva les yeux au ciel pour exprimer son indifférence et attendit qu’elle se calme, ce qui n’arriva pas. Alors, il l’attrapa par les épaules, la souleva comme une poupée de chiffon et la reposa face à la sortie.

_ Allez, avance, dit-il en la poussant légèrement.

Arrivée dans un couloir, elle sentit de petites pressions courir le long de son bras, signalant la présence du lézard.

_ Il n’a pas voulu te lâcher quand on t’a amenée ici. Je ne savais pas que tu t’entendais aussi bien avec les kosamil. En même temps, tu es une Mensvaccum, pas étonnant que tu ais eu envie de le domestiquer.

_ Un kosamil ?

_ Les kosamil sont de petits olkames verts qui développent une force incroyable quand ils grandissent.

_ Des olkames ?

_ … Oui… les olkames représentent l’ensemble des animaux aux pouvoirs magiques.

_ C’est toi qui m’as frappé à la tête ?

_ Non, un Yolkal. Tu as eu de la chance que ce n’ait pas été un Mensvaccum. Sinon tu serais revenu à la case départ trésor.

_ De la chance tu dis ?

_ Ça, on va bientôt le savoir.

_ Où allons-nous ?!

_ Tu verras… C’est par là.

Ilse sortit du couloir en prenant sur sa gauche et s’arrêta face à la structure labyrinthique qui se dressait devant elle : des passerelles et des escaliers, faits de grillages et de métal, se superposaient et s’enchaînaient les uns avec les autres dans une ambiance jaunâtre.

Odward la poussa vers un escalier où ils croisèrent un groupe de trois Yolkal. Ils portaient le même pantalon aux motifs colorés et la veste en cuir qu’elle avait déjà repérés. Sur leur visage, des dessins à l’encre noire ressortaient au coin des yeux et se prolongeaient dans le cou ; un bandana entourait la naissance des cheveux et se refermait en un nœud étroitement serré. L’un d’eux lui assigna un clin d’œil avant de chuchoter quelque chose à ses camardes.

Leurs pas raisonnèrent contre les grilles métalliques de l’escalier quand la jeune femme repéra d’autres agroupements de Yolkal. Certains étaient appuyés contre les tôles, d’autre se rassemblaient autour de barils où brûlaient des feux de bois. Sur une nouvelle passerelle, Odward la dirigea vers la droite. Arrivés à un croisement, un homme au teint gris étira les lèvres pour lui adresser un rictus semblable à un grognement sans son.

Le jeune homme plaça alors une main sur son épaule pour l’encourager à continuer vers un autre escalier. Sur la dernière marche, il lui indiqua une porte en acier qui s’ouvrit quelques secondes plus tard sur un autre Yolkal. Ce dernier les accompagna le long d’un couloir où, à l’autre extrémité, un tissu usé cachait une nouvelle entrée. Après avoir dégager l’accès, ils pénétrèrent tous les trois dans la pièce. La première impression d’Ilse était celle de se faire dévorer par l’extraordinaire hauteur des murs. Elle n’arrivait même pas à distinguer le plafond qui se perdait dans l’obscurité, comme si un univers fait de créatures macabres s’y tapissaient. Elle ne sut dire si les hurlements de loup enragés, bourdonnant à ses oreilles, provenaient de là ou si elle se les imaginaient.

Une embumante fumée noire créait une délimitation entre les Yolkal, assis en cercle, et les ténèbres. Ilse remarqua qu’un vieillard, en position du lotus, régissait l’assemblée. Elle fut avant tout intrigué par son bâton, posé sur les genoux, au bout duquel une sphère de cristal était posée. On pouvait à peine distinguer les traits fripés de son visage dissimulés derrière de longues dreadlocks grises. De la même façon, les lignes de son corps se perdaient sous une masse de tissus. Ilse fut mystifiée par ses yeux dans lesquels il n’existait aucune pupille car, en effet, l’entièreté de ses globes oculaires était tintée d’un gris clair. Il fait froid dans le dos celui-là, trembla-t-elle. Il lui sembla que le petit lézard, alias « kosamil », s’était réfugié sous l’encolure de son manteau comme pour éviter d’avoir à regarder ce qui allait se passer.

_ Bienvenue, petite libeloula. Je t’en prie assieds-toi, l’invita le vieillard avec douceur.

_ C’est quoi une « libeloula », chuchota Ilse à Odward alors qu’ils s’avançaient vers le cercle.

_ Un être ridicule et stupide.

Elle jeta un dernier coup d’œil vers lui avant de se glisser entre deux Yolkal.

_ Hum… vous êtes « l’Aveugle » ?

_ C’est exact, petite libeloula.

_ Alors vous devez aider le Yolkal qui m’a parler de vous. Il est seul et mourant dans le champ de …

_ De telas. Oui je sais. Malheureusement nous ne pouvons pas faire grand-chose pour lui.

_ Avez-vous au moins essayer ?

_ Tu es téméraire pour une prisonnière.

_ Pourquoi devrais-je me considérer comme une prisonnière ?

_ Car vois-tu, si nous sommes réduits à la misère et à la faim c’est à cause de ton peuple.

_ Je n’étais même pas…

_ Et il me semble, de source sûre… dit-il en désignant du menton Odward qui s’était installé à sa droite, que tu aies assassiné ton propre père.

Des exclamations scandalisées retentir du cercle de Yolkal.

_ Oui mais …

_ Celui qui t’as offert la vie, qui t’as vu grandir et éduquée.

_ Mais…

_ Et tu es partie pour fuir les Mensvaccum.

_ Oui.

Pendant un court instant, Ilse eut l’impression que l’Aveugle fixait sur elle ses yeux sans vie. Même si elle était persuadée qu’il ne pouvait pas la voir comme elle le voyait lui, la sensation d’être analysée lui traversa l’âme.

_ Mais je ne te ferai pas exécuter ce soir, reprit-il.

_ C’est très gentil de votre part…

_ Tu seras soumise au jugement du Colibri. C’est eux qui décideront de ton sort, de si tu dois vivre ou mourir. Tu partiras demain sous la responsabilité d’Odward.

_ Jugée pourquoi ? Pour avoir fui un père que vous auriez aussi tué ?

_ … Et pour être une Mensvaccum. Cela serait un beau message d’espoir pour mon peuple, tu ne crois pas ?

Le cercle s’exclama de joie.

_ Me tuer ne changera rien à votre problème.

_ Nous pourrions renvoyer son cadavre à Menstorre, dit un Yolkal installé dans le cercle.

_ Ou l’y renvoyer tout de suite, ils se feront un plaisir de le faire à notre place, lança un autre.

_ Alors tuez-moi maintenant ! s’exclama Ilse en ayant à l’esprit le mariage avec Aténon.

_ Ça suffit ! hurla l’Aveugle. Il sera du ressort du Colibri d’en juger. Riverio charge moi le Kamakanat !

Un des Yolkal se dirigea vers le fond de la pièce et revint avec une caisse en fer dont il tira le loquet.

_ Qu’allez-vous me faire ?

Ilse vit qu’il en sortit une tige de bambou, longue d’un mètre, sur laquelle s’alignaient de minuscules entonnoirs en verre.

_ Non ! S’il vous plait ne me faites pas de mal ! paniqua Ilse qui fut retenue par ceux qui l’entouraient.

Le Yolkal retira alors deux telas de la caisse. Avec une spatule, qu’il enfonça au cœur de la plante, il réussit à en extraire une sève noire qu’il incéra dans les entonnoirs avant de revenir s’installer dans le cercle.

_ Connais-tu l’histoire de mon peuple, petite libeloula ?

Ilse ne sut répondre, pétrifiée par la peur.

L’Aveugle tâtonna la tige de bambou pour la récupérer entre ses doigts, puis le Yolkal craqua une allumette et enflamma la sève. Le vieillard porta l’une des extrémités du bambou à sa bouche, prit une grande inspiration et expira une épaisse fumée noire. Le Kamakanat fut alors passé à Odward. Plus celui-ci passait de mains en mains, plus tout devenait flou. Ilse commença à se sentir malade. Quand il arriva jusqu’à elle, elle jeta un œil méfiant vers le vieil homme qui ne laissa rien paraitre. Elle dirigea donc son regard vers Odward qui lui octroya un sourire en coin dans lequel elle lut autant d’arrogance que de défit.

_ Fume, l’invita l’Aveugle.

Ilse avala sa salive puis porta l’extrémité du bambou à sa bouche. Quand elle aspira pour la première fois elle toussa. Malgré son esprit embrumé, elle entendit les rires du cercle. Elle attrapa le bambou à deux mains et pris la plus forte des inspirations qu’elle pût.

_ Très bien, petite libeloula. Allonge-toi.

Plongée dans l’écran de fumée, ses membres perdirent toute tonicité. La sensation de flottement s’intensifia quand le décor se mit à tourner, jusqu’à l’écraser. C’est alors que les yeux de l’Aveugle apparurent comme un flash. D’un coup, une forte douleur emprisonna sa poitrine, au point qu’elle crut faire un arrêt cardiaque, puis soudain, une brulure se répandit progressivement dans ses veines. Au loin, la phrase « elle va mourir » parvint à ses oreilles, tandis que dans son esprit, elle entendit très nettement la voix du vieil homme :

_ Je vais te raconter l’Histoire de mon peuple, petite libeloula.

Progressivement, la douleur s’apaisa et les particules de fumée commencèrent à se mouvoir dans l’atmosphère.

_ « Jadis, quand rien n’existait et que le néant régnait, la Lumière donna vie à l’Esprit du Jour et à l’Esprit de la Nuit. Pendant longtemps, l’un et l’autre purent la partager ; mais, au fil du temps, l’Esprit de la Nuit finit par être jaloux de son frère qui brillait plus que lui. Il le provoqua alors en duel. Dans le chao, la Lumière, de peur de les voir s’entretuer, décida de leur offrir l’Embryon. Celui-ci était destiné à rassembler les Esprits, leur donner un nouveau but à partager, ils devraient donc s’en occuper et le chérir. Mais, aveuglés par la rage, ils le méprisèrent et l’Embryon fut brisé. De cette anarchie naquirent les Soatsin. »

Dans l’écran de fumée, les particules se transformaient, illustrant le cours du récit.

« Plus tard, Shakpana, lo Soatsin de la terre, déroba un morceau de lune à l’Esprit de la Nuit. Pri.s.se de remorts, iel alla se confier à Calunga, qui, de nature émotive, versa quelques larmes. Iels créèrent ainsi un Univers fait de terre et d’eau. Intrigué.e.s, Rayos et Centoya, les Soatsin du feu et de l’air, firent naître les premières molécules vivantes. Ogun, lo Soatsin du métal, blessé.e de ne pas avoir été mis.e dans la confidence, récupéra les débris du dernier combat pour les répandre un peu partout et générer le désordre. Par conséquent, arriva Sholan, que les Soatsin prièrent d’arranger la situation, s’avéra, finalement, être lo Soatsin lo plus rebel.elle de tous.e.s : iel déroba une chose précieuse à chacun.e.s des Soatsin dont l’union créa les êtres vivants. Les Soatsin, furieux.euse.s de ce qu’iel avait fait, décidèrent de lo punir et de diviser les êtres vivants, les mâles d’un côté et les femelles de l’autre.

Ainsi fut créé notre Univers. Celui dans lequel l’Esprit du Jour et l’Esprit de la Nuit n’ont pas d’autre choix que de coexister qu’en se le partageant de façon équitable. »


La fumée noire commençait à s’évaporer quand Ilse reprit conscience. Elle se redressa difficilement pour voir réapparaitre le cercle de Yolkal autour d’elle.

_ Vous … vous racontez des mensonges, dit-elle.

Les Yolkal s’exclamèrent de surprise :

_ Tuez la ! Elle ne mérite pas de jugement !

_ Elle est comme tous les Mensvaccum, elle ne respecte rien !

_ Alors comment expliques-tu qu’elle ne soit pas morte comme tous les autres ? répliqua Odward.

_ Oui enfin, si je peux me permettre, ce n’était pas non plus très agréable, intervint Ilse avant de se taire face au regard noir que lui lança ce dernier.

_ Veux-tu continuer à découvrir la naissance de notre peuple, petite libeloula ? coupa l’Aveugle pour revenir au sujet principal.

_ J’aurais encore mal ?

Mais sous les regards menaçants des Yolkal, Ilse n’eut d’autre choix que d’accepter.

_ Euh, oui… bien sûr, avec joie, s’empressa-t-elle d’ajouter en voyant le Yolkal à sa droite lui montrer les dents.

Le cercle fit passer le Kamakanat à Ilse qui prit une nouvelle inspiration avant d’expirer. Les particules noires virevoltèrent vers le plafond et la jeune femme se rallongea. En un instant, Ilse eut la sensation d’avoir de la lave qui lui coulait dans la gorge. Elle se remit à hurler pensant cracher du feu. La torture dura quelques minutes avant d’avoir l’impression que son crâne se fracture. Quand L’Aveugle reprit son récit, la douleur s’apaisa à nouveau et d’autres dessins commencèrent à se former dans la fumée.

_ « La vie était donc descendue sur cet Univers. Les plantes sortirent de la terre et de l’eau, tandis que les animaux, eux, naquirent du feu et de l’air. La faune et la flore se développèrent au fil des jours et des nuits, au point, pour certaines, d’en devenir magiques. On appela les plantes : les ostogas et les animaux : les olkames.

Les yolks, des olkames dont le pouvoir est de se transformer en animal non-magique, devinrent de plus en plus humains. Rapidement, on distingua trois espèces : les Yolkalma, les Yolkolo puis les Yolkal. Longtemps ils vécurent de leur côté, mais leurs pouvoirs n’étaient pas invincibles. Malgré leurs divergences, les yolks durent s’unir pour assurer leur survie face au danger. Il existait, ailleurs, d’autres êtres : humains. Ces derniers seraient rapidement une menace pour les yolks, car avec eux s’installait une neige perpétuelle. Pouvant de moins en moins vivre de leurs propres productions, ils décidèrent alors de créer la Tribu de Colibri. Elle serait gérée par un seul Yolk qui agirait comme dirigeant des Yolkalma, dont il est issu, et comme le chef de toute la Tribu. Il serait épaulé de deux Subyolk, un Yolkolo et un Yolkal, chacun dirigeant de leur propre peuple. Mais les Yolkolo et les Yolkal, craignant que les Yolkalma prennent le pouvoir, mirent en place Le Colibri : assemblée où se rencontre des yolks de tous les peuples pour débattre des décisions à prendre. Ce système fonctionnait parfaitement jusqu’au jour où des hommes venus de l’extérieur envahissent les terres des Yolkal. Bien sûr, les Yolkalma et les Yolkolo vinrent à notre aide. C’est ce que nous avons appelé la Bataille des Yolks. Malheureusement, les Yolkalma et les Yolkolo avaient conscience que l’ennemi n’arrêterait pas avant d’avoir conquis tous les territoires. Alors ils négocièrent et cédèrent le territoire des Yolkal aux humains. Depuis, les Mensvaccum ont construit le convoi pour rationner toutes nos productions et les ramener à Menstorre. Les femmes et les enfants, ont été enlevés pour servir l’Archimagiment ; les hommes, quant à eux, servent de main d’œuvre. Le soir venant, quand les champs sont vides et que l’Esprit de la Nuit prend la relève, nous nous cachons dans l’ombre de ce que nous avons construit… »

L’impression d’avoir un poignard dans la poitrine ramena violemment Ilse dans la réalité. Cette fois-ci elle sentit son sang bouillirent dans tout son corps, jusqu’à atteindre un point de douleur qu’elle ne put supporter.

Dans les dernières bribes de fumée noire, elle aperçut un filet de lumière. Il devint de plus en plus flou, s’éloigna, se dilua, puis disparut.


***


_ Je viens réclamer votre aide, votre Honneur.

Le patron du feu Vanibar se tenait devant l’Archimgirius assis sur son trône, régnant sous les arcs de l’Archimagiment. Surélevé par quelques marches qui le séparaient de l’autel, le dirigeant à la tunique noire, regardait de ses yeux de vautour le pauvre homme. En effet, suite à la vanitas, à laquelle les Mensvaccum était obligés d’assistée tous les après-midis, le barman voulut défendre sa cause face au représentant d’Esfalt :

_ J’ai appris en effet que le Vanibar avait été mis à feu et sang.

_ Oui, par une explosion, votre Honneur.

_ Que veux-tu alors ?

_ Une indemnisation. Je veux reconstruire mon bar, votre Honneur. Sans lui je n’ai rien, je ne peux plus subvenir aux besoins de ma famille.

_ Tu veux parler de ce lieu où les Mensvaccum s’encanaillent ?

_ Euh… oui… votre Honneur.

_ Aténon !

Le chef de la Brigade Magirius et deux de ses sbires, qui se tenaient derrière le trône, avancèrent dans leur uniforme noir. Aténon gonfla alors le torse sur lequel brillait l’insigne MV :

_ Oui votre Honneur.

_ Est-ce que ce monsieur, qui vient me supplier de l’aider, a payé la taxe de l’Archimagiment ?

_ Pas de puis plusieurs mois, votre Honneur.

_ Mais…mais vos gardes…ils…tous les soirs, ils viennent pour boire et profiter de mon bar. Ils ne payent jamais…euh… je veux dire que je ne les laisse pas payer, votre Honneur.

_ Et c’est mon problème à moi ? Aténon ! Comment se fait-il que cette situation ait durée ?

_ Nous l’avons plusieurs fois prévenu, votre Honneur. Nous avions fait ce qui était demandé.

_ Votre Honneur, je vous en supplie, je ferai tout ce que vous voudrez.

_ De plus, il me semble que plusieurs des Mensvaccum soit allez se souler dans votre, soi-disant, « bar », au lieu d’assister à la cérémonie de la quatorzième lune, n’est-ce pas ?

_ Cela n’arrivera plus, votre Honneur.

_ Trop longtemps j’ai toléré ces jérémiades : ces lieux où tout le monde parle, critique et s’éloigne de la parole d’Esflat.

_ Par pi…tié, Vo…tre Honneur.

_ Faites moi sortir ce minable !

La Brigade attrapa le Mensvaccum par les bras et le firent sortir par la porte arrière qui se referma sur le désespoir du miséreux.

_ Enfin terminé de ces perfidies.

_ Le Vanibar ne vous apportait que des problèmes, votre Honneur.

_ Ah Aténon, je n’aurais plus à me soucier de ces réunions complotistes. Sinon parle-moi de l’affaire Furis, où en sommes-nous ?

_ Nous avons vidé la maison, votre Honneur. Seule, la fille reste introuvable.

_ Penses-tu qu’elle ait pu s’enfuir de Menstorre ?

_ Cela m’étonnerait, votre Honneur. Elle sait, ou du moins elle pense, qu’il n’y a rien dehors, hormis de la neige à perte de vue. Je pense plutôt qu’elle se cache.

_ Hum… retrouve la le plus vite possible.

_ Oui votre Honneur. J’ai posté plusieurs membres de la Brigade de façon à quadriller les rues de Menstorre.

_ Parfait. Ne vous arrêtez pas avant de l’avoir retrouvée.

_ A vos ordres votre Honneur.

_ Et Aténon, avant de partir ...

_ Oui, votre Honneur.

_ J’ai une mission pour toi. On se retrouve cette nuit, même endroit, même heure.

_ A vos ordres votre Honneur.

_ Tu peux disposer.

Aténon parcourut l’allée menant jusqu’à la porte en chêne puis sortit. Le calme vint à nouveau se blottir au creux de l’immense salle dont les vitraux laissaient percevoir la chute de la neige. L’Archimagirius, la tête-haute, se sépara de son trône pour se positionner face à l’une des peintures du grand hall. Son propre portrait renvoyait, par sa taille, l’image d’un homme âgé mais sûr de lui. L’idée, de le peindre vêtu d’une armure et non de sa tunique habituelle, venait de lui. Il en était fier : le montrer comme un conquérant ne pouvait que mieux faire comprendre à la foule sa toute-puissance. Son devoir était de maintenir les siècles de domination qu’avait instauré les précédents Archimagirius, au service de l’ordre social. Par conséquent, personne n’avait envie de le contredire et cela lui convenait. Quant à la Brigade Magirius, tout le monde en avait peur. C’était du très bon travail.


Blandine ROUX DE ALMEIDA

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