Chapitre 1 - Partie 2
- Blandine R-da
- 16 avr. 2023
- 10 min de lecture
La double évasion de Menstorre (suite)

Plus tôt cette nuit-là, un jeune homme se cachait dans la pénombre des habitations entourant la place de Menstorre. Odward, dans un ensemble noir, portait sur lui le stéréotype de l’homme mystérieux. Sa veste en cuir dissimulait son torse recouvert de tatouages et son pantalon était entré dans de hautes bottes. Ce qui rendait le personnage inaccessible n’était pas tant sa mèche sombre retombant sur son visage mais plutôt ses yeux atypiques. Plus précisément, le jeune homme avait la faculté de transformer ses yeux en ceux de l’animal de son choix. Pour la mission qui l’incombait, il avait jugé utile d’utiliser la vue du serpent, très sensible aux infrarouges, ses pupilles se métamorphosant ainsi en deux cylindres verts.
Son objectif était simple : sortir de la cité sans se faire attraper, tout ça avant que le convoi _ qui l’avait amené jusqu’ici_ parte dans les deux prochaines heures.
Le jeune homme observait la scène sous forme de contraste où les couleurs chaudes se mêlaient aux couleurs froides. Les Mensvaccum, qu’il voyait comme des taches orangées, déambulaient dans les rues de Menstorre. Ils n’allaient pas tarder à assister à la célébration de la quatorzième lune. Odward se glissa à contrecourant dans la foule pour s’orienter vers les hauteurs de la cité ; empruntant des chemins plus pentus menant jusqu’à l’antre de l’Archimagirius, que l’on nommait : « l’Archimagiment ». Celui-ci, édifié à même la montagne, avait été construit dans la roche avant même l’apparition de la tour dont les chantiers s’étaient éternisés au gré de la mégalomanie des Archimagirius qui s’étaient succédé au cours des siècles.
Quand Odward se cacha derrière le muret de l’escalier qui conduisait jusqu’à l’entrée, il nota que deux membres de la Brigades Magirius faisaient le guet devant l’immense porte en chêne. Il tira alors de sa ceinture une faucille argentée à l’aura bleutée_ celle-ci ayant le pouvoir d’infecter toutes personnes touchées, si par chance elles n’étaient pas mortes dans l’immédiat. _ Alors, dans un mouvement athlétique, il prit appui sur le muret et sauta par-dessus. Avec une rapidité animalesque, il bondit sur la dernière marche en levant la faucille et frappa le premier garde. Le deuxième allait sortir son épée du fourreau quand Odward, tel un jaguar, se retourna pour l’attaquer à son tour. Les deux gardes s’effondrèrent alors. Le jeune homme se plaqua contre le renforcement de la porte et observa les alentours avant d’enclencher la poignée et d’entrer sans difficulté. Il se retrouva sous un plafond d’une hauteur stupéfiante. L’architecture dorée, chargée de détails, lui donnait la désagréable impression d’être oppressé par une force surnaturelle. Au fond de la pièce, s’étirant sur la longueur, un trône surplombait l’ensemble. Juste derrière, un autel avait été érigé pour donner les vanitas. Les murs, eux, étaient jonchés de portraits, peints à l’huile. On comprend vite pourquoi la misère existe, pensa-t-il en jetant un regard vers celui se trouvant à sa gauche. Un Archimagirius portait une chasuble verte à l’encolure dorée. Il tenait fermement le VANITATUM dans la main droite et une épée faite d’or de la main gauche. Le menton légèrement relevé, il regardait vers l’horizon.
Tout à coup, une chaleur corporelle entra dans son champ de vision. Pour ne pas être repéré par le Magirius qui avait fait irruption au fond de l’antre, il se dépêcha d’emprunter l’escalier. Il entreprit de monter les marches avec précaution, tenant devant lui la faucille, prêt à attaquer si quelqu’un arrivait en face. Odward arriva alors dans un couloir recouvert d’une moquette rouge vif et à nouveau tapissé de tableaux. Cette fois-ci il ne s’agissait pas de portraits mais plutôt de squelettes mis en scène dans des espaces sombres où brillaient des éclats de diamants et d’armures.
Odward ouvrait l’une des portes quand il entendit derrière lui :
_ Vous êtes qui vous ? Que faites-vous ici ? Garde !
Odward se mit à courir en direction de la tache orangée qui dégainait déjà son arme. La faucille et l’épée s’entrechoquèrent dans un bruit métallique. Se dégageant, ils tournèrent sur eux-mêmes et Odward dû se baisser pour éviter la lame. En se redressant, il donna un coup de pied dans le thorax de l’homme qui fut propulsé en arrière. Il l’attrapa alors par le col, le souleva, défonça la porte se trouvant à sa droite et le poussa à l’intérieur. Odward, resserrant son emprise, fit passer la tête de l’homme au travers d’une fenêtre
_ Qu’est-ce que l’Archimagirius cache dans son bureau ?
Comme l’homme ne daignait répondre, il fit pression dans son dos pour le faire basculer un peu plus.
_ Qu’Esfalt me venge et m’accueille !
_ Epargnez-moi vos conneries d’esfaltien !
_ Vous allez souffrir !
_ Bon, d’accord, conclut Odward en lâchant le Mensvaccum qu’il regarda chavirer et s’écraser sur les remparts de la tour.
Ils vont sans doute donner l’alerte maintenant. Odward revint sur ses pas pour emprunter un autre escalier en colimaçon, la faucille toujours à l’affût du moindre mouvement. Il arriva alors dans un nouveau couloir qui, à la différence du précédent ne possédait aucunes portes, mais dans lequel on retrouvait les tableaux obscurs. Le jeune homme, cherchant un détail pouvant lui indiquer la position du bureau de l’Archimagirius, avança en les étudiant un par un. Une des œuvres s’illustrait dans le même registre que les autres, cependant, sa représentation à échelle humaine lui donnait plus de prestance. Un haut squelette se tenait debout face à un secrétaire en bois. Il tenait une grande faux dans sa main gauche et une épée dans l’autre. Sur son crâne, une couronne remplie de rubis surplombait la scène. Sur le meuble, le VANITATUM et des cartes étaient étalées.
D’instinct, Odward commença à tâter le cadre doré. Pour rester sur ses gardes, il décida de changer sa vision. Ses globes oculaires se déformèrent pour laisser place à deux paupières coniques aux multiples couleurs. Grâce à ses yeux de caméléon, le jeune homme put maintenir sa vision sur le cadre d’un œil, tout en surveillant le couloir de l’autre. Il poursuivit son analyse quand il sentit sous ses doigts un loquet sur le côté droit. Il l’enclencha et la toile s’entrouvrit, lui dégageant l’accès.
Le bureau de l’Archimagirius était plongé dans l’obscurité mais il distingua tout de même la forme circulaire de la pièce soutenue par une imposante charpente. Le secrétaire aux moulures extravagante, se tenant au centre de la pièce, était encadré par une bibliothèque à droite et un espace salon à gauche. Odward s’approcha du meuble et commença à étudier les documents qui s’étendaient devant lui. Tout en balayant du regard certains d’entre eux, il garda un œil vers l’encadrement de la peinture. Après s’être arrêté pour en lire un en particulier, il entreprit d’ouvrir les différents tiroirs. De la paperasse et quelques objets servant pour la vanitas remplissaient les espaces. Le jeune homme, malgré sa fouille, ne trouva rien. De plus, quand il voulut ouvrir le tiroir sous le secrétaire, il nota avec énervement qu’il était verrouillé. Il allait se diriger vers la bibliothèque pour l’examiner à son tour, quand il entendit des pas dans le couloir. Odward tourna rapidement la tête vers le cadre et dans une position féline, il sauta pour monter sur la charpente. Il s’y accroupit et attendit que les pas cessent. A nouveau, il changea ses yeux de caméléon pour reprendre ceux du serpent et dégaina la faucille.
Un vieil homme à la tunique noire, ornée d’une étole rouge, pénétra dans la pièce puis, à la lueur d’un chandelier, éclaira la bibliothèque. Odward regarda la forme orangée se mouvoir sans comprendre les gestes qui se perdaient dans l’obscurité. L’Archimagirius vint alors ouvrir ledit tiroir du secrétaire. Odward se raidit d’impatience quand l’homme en sortit une boîte. Mais au moment où il s’apprêtait enfin à découvrir ce pourquoi il était venu, un autre individu entra dans la pièce :
_ Votre Honneur, des attaques ont été signalées à l’intérieur de l’Archimagiment.
_ Je suis au courant Aténon, La Brigade Magirius va s’en occuper, il ne va pas pouvoir aller bien loin.
_ La quatorzième lune sera bientôt célébrée votre Honneur, ils vous attendent.
_ Qu’ils patientent !
_ Bien votre Honneur.
Le vieil homme attendit que le cadre se referme sur Aténon pour ouvrir la relique. Ce qu’il en sortit était si petit qu’Odward ne put l’identifier avant que l’Archimagirius ne le repose et ne referme la boîte qu’il glissa sous sa tunique. Après avoir reposé le chandelier près de la bibliothèque, l’Archimagirius passa par l’ouverture du cadre et disparut. Odward sauta alors du haut de la charpente pour atterrir avec légèreté sur la moquette du bureau. Ce n’est pas le moment de rester là. Il attendit que les pas de l’Archimagirius s’estompent avant de sortir à son tour.
Le jeune homme regarda à droite puis à gauche. Aucune tache orangée à l’horizon. En rebroussant chemin, il croisa les différentes peintures et s’engagea dans l’escalier, la faucille levée. Mais lorsqu’il eut atteint le couloir où il avait affronté le premier Magirius, trois hommes firent irruption.
_ On l’a trouvé, il est là ! cria l’un d’entre eux.
Les trois hommes se ruèrent sur lui, les épées brandies. Odward attrapa une deuxième faucille accrochée à l’arrière de son pantalon et les fit tourner dans chacune de ses mains. C’est parti ! Alors une chorégraphie métallique commença. On pouvait entendre le choc à chaque fois que les lames se heurtaient. Odward dut sauter pour éviter l’une d’elles et termina par une roulade avant de se redresser.
_ As-tu peur de la mort ? prononça l’un des gardes.
_ C’est plutôt la mort qui a peur de moi, rigola Odward.
Il s’élança en avant, frappa un premier homme qui hurla sous la violence du coup. Les deux autres foncèrent à nouveau sur lui pour reprendre le capharnaüm des lames s’entrechoquant. Dans un mouvement de faucille, Odward taillada l’un d’eux de bas en haut. Le combat continua alors avec le dernier qui attrapa sur le sol l’épée d’un de siens.
La bataille faisait maintenant rage dans les escaliers où différents membres de la Brigade Magirius firent irruption en soutien à l’attaquant. Odward réfléchissant vite, fit une pirouette dans les airs pour passer au-dessus de son adversaire. Il se trouva donc entre l’assaillant et ses congénères. Les deux faucilles dans les mains, le combat s’enchainait jusqu’à ce qu’Odward, après avoir blessé plusieurs d’entre eux, pût avancer dans l’escalier. Il s’engagea rapidement dans une des pièces le juxtaposant puis enjamba le bord de la fenêtre au moment où la Brigade Magirius entrait. Il sauta et se rattrapa à un balcon qui se tenait un peu plus bas.
_ Il s’échappe ! entendit-il.
Alors Odward, à la suite d’une nouvelle figure athlétique qui le fit atterrir devant les marches extérieures, se mit à courir pour redescendre avec agilité les rues de Menstorre, fuyant La Brigade Magirius qui se lançait à sa poursuite. Odward bondissait pour éviter les obstacles, tournait dans les rues en dérapant. Dans sa course, il prit de la vitesse pour sauter par-dessus une clôture en bois, puis se retrouvant dans une rue parallèle, il se faufila dans un chemin et attendit.
Des bruits de tirs retentirent et des éclats de rouges, de jaunes et de verts vinrent illuminer la nuit. La célébration de la quatorzième lune avait commencé. Odward s’enfonça dans l’obscurité lorsqu’il entendit des pas se précipiter sur les pavés gelés, signalant la présence d’une demi-douzaine de gardes qui croisait la ruelle.
_ Par ici ! Il faut redescendre vers la célébration !
_ C’est un attentat !
Quand ils eurent disparu, le jeune homme estima qu’il avait réussi à leur échapper pour un temps puis continua sa route tout en sachant qu’il lui restait moins d’une heure et demi avant que le convoi ne parte. Il avait anticipé le fait que les festivités de la célébration détourneraient l’attention de la Brigade Magirius, leur faisant perdre ainsi du temps pour s’organiser ; mais Odward, de par la haute estime qu’il pouvait avoir de lui-même, laissait toujours place à l’improvisation. C’est ce qu’il appelait : « se prendre en challenge ». Par conséquent, il devait réfléchir au moyen le plus sûr d’arriver à temps jusqu’au convoi avant qu’elle n’envahisse tous les recoins de la cité pour le retrouver. Odward suivait minutieusement les ruelles, prenant le soin d’éviter les grands axes. Une idée lui vint à l’esprit quand il prit la rue du Vanibar où il se faufila à l’arrière de l’établissement encore vide. Lorsque son plan se fut dessiné dans son esprit, il retourna dans la rue du forgeron et du cordonnier.
Arrivé au niveau de la forge, il scruta l’intérieur. Personne. Odward tourna la tête à droite puis à gauche et défonça la porte à coups de pied. Un feu avait été allumé pour faire entrer le métal en fusion. Une enclume se tenait au milieu de la pièce, un marteau et un tablier de cuir posés dessus. A droite, des épées, fraîchement fabriquées, s’entassaient dans une caisse et plusieurs outils étaient accrochés dans le fond de la pièce. Odward récupéra alors un seau d’eau prêt de l’enclume puis se dirigea vers l’arrière-cour où il le vida avant de le remplir d’une terre que le forgeron avait entassée dans un coin. Il revint à l’intérieur de la forge, décrocha un tas de cordes du mur et attrapa le marteau. Odward continua d’examiner la forge avant d’empoigner un deuxième seau, une torche et une planche en bois qu’il maintint sur son épaule.
Odward redescendit la rue pour se diriger à nouveau à l’arrière du Vanibar où des tonneaux et des bouteilles de rhum s’entassaient entre l’établissement et le mur d’une des habitations. Le jeune homme déboucha un des tonneaux et y glissa le bout d’une des cordes qu’il déroula sur le sol. Par la suite, il noua le seau rempli de terre à la deuxième. S’accrochant à la roche, Odward grimpa le long de l’habitation. Arrivé sur le toit, il fit passer l’autre extrémité de la corde au-dessus du conduit de cheminée, puis y attacha le marteau. Entre-temps, il coucha le deuxième seau et y posa la planche. Lorsqu’il alluma la torche, il la déposa, elle aussi, en équilibre. Après être redescendu du toit, il analysa l’installation. Techniquement, tout était en place. Odward déversa le contenu d’une des bouteilles sur le sol, puis se cacha alors dans la pénombre.
Une heure s’était écoulée et le brouhaha des Mensvaccum commençait à emplir le bar. Quand le jeune homme estima que les fêtards furent suffisamment ivres pour ne pas le remarquer, il perça le fond du seau et prit la fuite. La terre se rependit alors sur le sol. Plus les secondes passèrent, plus le seau montait le long du mur grâce au poids du marteau suspendu au conduit de cheminée. Au bout d’une dizaine de minutes, il finit par tomber sur la planche en équilibre, ce qui fit basculer la torche, presque consumée, sur le sol. Celle-ci entra alors en contact avec la corde imbibée de rhum qui prit feu. La flamme entama son chemin jusqu’au tonneau qui finit par s’enflammer. En un instant, le feu se répartit sur l’ensemble des contenants. Brusquement, une explosion monumentale se déploya pour dévorer tout l’arrière de l’établissement. Les derniers fêtards se mirent à courir dans tous les sens, s’éparpillant dans les rues en hurlant : « Au feu ! au feu ! ». La Brigade Magirius, elle, tentait de se frayer un chemin jusqu’au lieu de l’incident. Dans cette confusion, il était aussi impossible de comprendre les raisons de l’explosion que de retrouver le coupable qui devait déjà être loin. En effet, Odward avait réussi à atteindre le convoi, juste à temps pour s’échapper. Il était déjà en train de pousser la toile du wagon, au moment où la Brigade Magirius se hâtait pour éteindre l’incendie. C’est en cet instant qu’il croisa le regard d’une jeune femme au teint de poupée.
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